Les récentes études réalisées par le Centre de recherche en neurosciences de Lyon montrent que notre cerveau est équipé pour détecter les erreurs, faire des corrections et adapter le comportement et la pensée. Le priver de la possibilité de commettre des erreurs, c’est bloquer ses processus d’apprentissage.
Le signal d’erreur interne
Lorsqu’une erreur se produit, le cerveau lance un signal d’erreur ERN (Error-Related Negativity) en à peine 80 millisecondes et nous savons alors que quelque chose ne va pas. Comme ce signal n’indique pas quelle correction apporter, nous ralentissons nos gestes et augmentons le contrôle exercé sur nos décisions pour envisager une meilleure option. C’est ce qui se produit, par exemple, lorsque nous avons pris la mauvaise route à un carrefour.
Quand le résultat tombe
Souvent, le résultat de nos choix ne tombe que plus tard. C’est alors le feedback (note d’examen, retour d’un collègue, etc.) qui déclenche le signal FRN (Feedback-related negativity) en moins de 250 millisecondes sous forme d’une onde cérébrale négative dans une zone proche du cortex préfrontal. Cette activation va faciliter la recherche de nouvelles stratégies et prendre en compte toutes les informations utiles pour adapter le comportement. L’erreur est, pour le cerveau, une information comme les autres qui permet de progresser.
Erreurs, attentes et prédictions
Contrairement aux idées reçues, pour le cerveau, une erreur n’est pas un échec ou un résultat négatif. En réalité, il repère avant tout l’écart entre la réalité et les attentes. Par exemple, vous devez faire passer un message difficile au sein de votre équipe. Vous anticipez une réaction neutre et professionnelle de vos collaborateurs. Trois cas de figures sont possibles. 1 – Ils réagissent mal. Dans ce cas, le cerveau détecte une erreur dans son schéma de décision et va imprimer qu’il faut faire différemment la prochaine fois (véritable apprentissage – erreur négative). 2 – Ils réagissent bien et vous remercient pour votre franchise. Ici encore, votre cerveau est surpris de cette réaction positive, note l’erreur de prédiction et apprend (erreur positive). 3 – Enfin, la réaction des collaborateurs est conforme aux attentes (absence d’erreur).
Comment stimuler l’apprentissage ?
Notre cerveau fait constamment des prédictions sur les résultats de ses actes et s’adapte en fonction du message qu’il reçoit. En cas d’erreur positive, l’activité des neurones à dopamine du mésencéphale augmente. En cas d’erreur négative, l’activité de ces mêmes neurones diminue. En cas d’absence erreur, l’activité de ces neurones est maintenue. C’est donc avant tout le renforcement positif qui stimule l’apprentissage. Le renforcement de l’activité neurone permet d’ajuster les valeurs ou les attentes pour s’approcher de la réponse la plus performante. C’est ce même processus qui est utilisé dans les robots dotés d’intelligence artificielle et capables d’agir de façon autonome dans des contextes inconnus.
L’influence des émotions
Si de nombreux messages d’erreurs s’accumulent dans une activité, c’est que nous devons changer de stratégie. Et pourtant, dans la réalité, nous n’arrivons pas toujours à adapter nos comportements. C’est parce que les émotions viennent influencer le processus en nous faisant préférer nos choix passés, comme le montre Jack Brehm (1956). Lorsque nous optons pour une approche, nous l’aimons et cela s’imprime de façon inconsciente dans nos valeurs et la partie du cerveau liée au plaisir (noyau caudé – Tali Sharot, 2009). C’est pourquoi, 51% du temps, nous persistons dans l’erreur.
L’obstacle du « j’ai choisi donc j’aime »
Nos préférences ont donc un poids très important sur la façon dont nous pouvons apprendre de nos erreurs. Et il est important d’être indulgent et de prendre en compte ce facteur quand on évalue l’apprentissage. Alors, existe-t-il un moyen de contourner cet obstacle ? L’invitation est de privilégier l’apprentissage par l’observation des erreurs des autres.
Développer une culture de l’erreur
L’essentiel est de valoriser l’échec comme une expérience de l’humilité et une occasion d’empathie envers celui qui se trompe. Oser aller au-delà du risque de se tromper, de la peur de l’erreur et permettre à chacun de partager ses échecs comme occasion d’accéder à la singularité, au développement et l’apprentissage. Sortir de l’illusion d’une norme de vérité professée afin de faciliter l’observation des erreurs de chacun et l’apprentissage en groupe.
Nous ne sommes pas nos erreurs
Ce qui fait que l’erreur est vécue comme un échec, c’est aussi que nous nous identifions aux choix que nous faisons. Je peux faire des erreurs sans que cela m’affecte en tant que personne, sans que cela ne m’enlève de la valeur. Apprendre par les autres et avec les autres, c’est aussi réaliser que nous sommes tous en devenir, en mouvement et que le processus d’apprentissage nous fait grandir. Comme le dit Charles Pépin (philosophe), « comprendre que l’échec est potentiellement la réussite d’une partie de soi-même. »
Les réactions habituelles aux erreurs
Frédéric Fanget, psychiatre, nomme quatre réactions habituelles aux erreurs: l’hypergénéralisation (je suis nul), l’indécision (je préfère ne pas choisir pour ne pas me tromper), la procrastination (je limite mes chances de réussite pour avoir des excuses en cas d’échec) et le perfectionnisme (je ne prends pas de risque, je conditionne mon estime de moi à la performance).
Si j’ai raté, c’est que j’ai essayé…
Seuls ceux qui font quelque chose font des erreurs. Oser se voir compétent et accepter l’idée qu’il y aura aussi des réussites, à côté des erreurs. La notion d’échec n’est pas une notion de tout ou rien. Certains sont plus importants que d’autres, plus enrichissants que d’autres. Nous sommes aussi invités à évaluer nos erreurs avec plus de nuance. Et à écouter le message clé qu’elles nous envoient : « change de chemin, essaie autre chose ! ». L’erreur indique la voie, nous révèle chaque fois un peu plus et nous fait gagner un temps précieux. A suivre donc, avec patience et indulgence.