Intelligence collective à Luxembourg

Quand l’intelligence vient aux groupes

Source: Dossier Cerveau&Psycho n°78 – Juin 2016 / Résumé par Céline Engels

De plus en plus d’organisations invitent les individus à collaborer au sein de collectifs, groupes de travail, communautés en réseaux, équipes projets… Mais ces collectifs de travail sont-ils vraiment plus efficaces? Selon les psychologues sociaux, plusieurs facteurs ont un impact sur l’efficacité d’un groupe; la nature des tâches, la composition des équipes, les règles de fonctionnement au sein de la communauté. Pour permettre à un groupe de bien fonctionner, trois questions sont essentielles: que doit faire le groupe (tâche du groupe), avec qui (membres du groupe) et de quelle façon (mode d’interaction et de coopération pour atteindre le but) ?  

Quelles sont les tâches confiées au groupe ?

  Ivan Steiner a identifié dès 1972 quatre types de tâches pouvant être assignées aux membres d’un groupe; additives, compensatoires, conjointes et disjointes. Les performances individuelles s’additionnent dans les tâches additives et le rendement de l’équipe est meilleur que celui du plus performant de ses membres. Pour les tâches compensatoires, la performance du groupe est fonction de la moyenne des contributions de chacun et dépasse généralement la plupart de celles-ci. En ce qui concerne les tâches conjointes, la réussite dépend de l’union des efforts de chacun, y compris des membres moins compétents du groupe. Ces 3 types de tâches sont donc propices au travail en intelligence collective alors que les tâches disjointes s’y prêtent peu. Le rendement de celles-ci ne dépendant que de la réponse du membre le plus compétent du groupe. La création d’un collectif intelligent, qui dépasse la somme des contributions individuelles, dépend donc de la manière dont la collaboration va s’organiser autour d’une tâche assignée.  

Diversité, ni trop, ni trop peu

De nombreux travaux de psychologues sociaux et notamment ceux d’Anita Woolley mettent en lumière les effets bénéfiques de la diversité des profils sur l’efficacité d’un groupe.  Les groupes dont les styles cognitifs et les compétences sont variés sont plus efficaces que les groupes composés de personnalités semblables. Cependant, la diversité cognitive se doit de rester équilibrée car si elle est trop forte, la communication entre les membres devient difficile. Par contre, une diversité, même élevée, facilite l’apprentissage, la créativité et la résolution de problèmes dans la mesure où elle multiplie les perspectives et les points de vue. Enfin, une trop grande diversité en termes de préférences et centres d’intérêts est plutôt nuisible. Une grande familiarité et proximité entre  les membres qui se connaissent et connaissent les ‘savoirs’ des autres, permet de développent des modèles mentaux partagés stimulant la performance. En résumé, plus les membres d’un groupe ont des compétences et des styles cognitifs différents et plus ils se connaissent, plus le groupe sera intelligent. C’est pourquoi, la présence d’espaces ouverts de communication informelle sur le lieu de travail est essentielle.

Le facteur C, mesure de la performance collective

Les résultats des études d’Anita Woolley sur plus de 200 groupes ont mis en valeur l’existence d’un facteur déterminant la performance collective. Celui-ci, appelé facteur c et est défini comme « la capacité du groupe à réaliser une grande variété de tâches ». Ce facteur explique 43% de la variabilité des performances des groupes. 

Il est déterminé par 3 éléments.

  • Le tour de parole. La capacité de résolution de problèmes d’une équipe est meilleure lorsque leurs membres peuvent s’exprimer à tour de rôle de manière distribuée et équitable, communiquant de manière dite décentralisée.
  • La sensibilité sociale, ou l’intelligence émotionnelle. C’est la capacité à comprendre ce qu’autrui pense ou ressent, parfois uniquement en observant le comportement non-verbal.
  • La proportion de femmes dans les groupes. Cela s’explique par le fait que les femmes ont souvent une meilleure sensibilité sociale et c’est justement cette sensibilité qui permet le plus de prédire l’intelligence collective. 

Les recherchent démontrent que le facteur c est peu relié aux intelligences individuelles du groupe et confirme que le collectif intelligent est plus que la somme des expertises individuelles.

La mémoire transactive, une nécessité pour réussir

La mémoire transactive (concept introduit par Daniel Wegner en 1985) est cette capacité des individus de partager des modèles mentaux communs. Selon lui, les groupes développent une mémoire collective qui permet de stocker, d’encoder et de récupérer de manière sélective des informations nécessaires pour réaliser un travail commun. Lorsque les membres d’un collectif ont connaissance de ce qu’ils sont capables de faire ensemble et de ce que les autres membres du groupe ‘connaissent’, ils sont plus performants en groupe. Ils commencent à se spécialiser dans différents aspects de la tâche, à mieux coordonner leur activité et développent une plus grande confiance dans les compétences de leurs partenaires.  Il existe 3 facteurs qui favorisent le développement et le maintien de la mémoire transactive; les tâches divisibles et complexes, la taille mesurée de l’équipe qui permet des interactions spontanées entre individus et des personnalités assertives qui véhiculent les idées de manière efficace.

Team building ou team training?

Il est évidemment possible d’influencer l’état d’esprit des participants pour favoriser une bonne mémoire transactive. Notamment au travers de team building et de team training. Bien qu’efficace pour améliorer les affects, la cohésion, la confiance et un climat positif au sein de l’équipe, le team building n’a en réalité selon le psychologue Eduardo Salas pas d’impact sur la productivité. Le team training, par contre, augmente l’efficacité de l’équipe car il fait progresser les membres  du groupe sur la compréhension des compétences psychosociales nécessaires pour travailler en équipe et sur la mise en oeuvre de ces compétences par le collectif lors de mises en situation proches de la réalité de leur quotidien.

Les freins à la pensée collective 

Il existe des obstacles qui peuvent empêcher le groupe de réfléchir efficacement. Le premier est la pensée moutonnière qui pousse les individus à se conformer à ce qui vient d’être dit dans le groupe et qui leur fait perdre leur esprit critique pour suivre l’avis de la majorité.  L’enjeu est alors de ne pas surestimer la capacité du groupe ni sous-estimer les avis extérieurs à ce dernier. Le manque de partage d’informations, par peur de se démunir de connaissances personnelles est un autre obstacle qui peut être contourné en expliquant au groupe que les savoirs de chacun seront valorisés. Enfin, le biais de confirmation, pousse les membres à se relier aux idées qui confortent et confirment leur point de vue et peut nuire à l’émergence de solutions différentes.  

Afin de lever ses freins et de raisonner ensemble efficacement, il est recommandé de commencer les réflexions en sous-groupes afin de fragmenter la pensée moutonnière ou encore de nommer un ‘avocat du diable’ dont le rôle sera de remettre en question l’avis de la majorité et de pousser les individus à garder leur esprit critique. 

Le rôle du leader dans le raisonnement collectif

Le leader est défini ici comme celui qui est choisi par le groupe pour lui apporter une méthode qui permettra de livrer le résultat que le collectif recherche. Sa contribution se joue sur plusieurs aspects: écouter et faciliter de façon neutre, laisser s’exprimer tous doutes et objections, développer et maintenir une identité de groupe. Le leader se doit d’être impartial et à l’écoute des membres du groupe et d’être force de proposition pour rassembler et créer des synergies. Son rôle est fondamentalement différent de celui du chef qui représente les intérêts de sa hiérarchie et qui sera par définition un biais à l’émergence d’une décision collective puisqu’il cherchera à influencer les avis en exposant le sien et en partageant ses préférences. Il facilite ensuite l’expression des doutes et des objections de chacun des membres du groupe pour assurer une décision acceptée par tous. Il fait émerger les points de vue conflictuels et accompagne le groupe vers une solution fondée où les différentes opinions ont été préalablement envisagées. Enfin, il crée, développe et maintient une identité de groupe, une sentiment d’appartenance, un ‘nous’.

En bref

Les éléments qui favorisent l’intelligence collective sont de petites équipes rassemblant des profils variés autour de centres d’intérêt communs , des tours de parole fréquents et distribués, de bonnes capacités d’intelligence émotionnelle et sociale, une proximité entre les membres permettant à chacun de savoir quelles sont les compétences des autres, la présence de femmes et des espaces de communication informelle sur le lieu de travail. Les principaux freins à l’intelligence collective sont la pensée moutonnière, le manque de partage d’informations et le biais de confirmation. La réflexion en sous-groupes, la mise en place de techniques de type ‘avocat du diable’ et le rôle du leader-facilitateur sont des moyens efficaces pour lever ces freins. L’intelligence d’un collectif n’émerge que sous certaines conditions,  au leader d’aujourd’hui et de demain de les connaître et d’apprendre à les mettre en oeuvre.